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Par Christophe Bonvin /

Ma société accumule des pertes, quelles sont mes obligations légales?

En Suisse, lorsqu’une société fait des pertes, le cadre légal prévoit un mécanisme automatique visant à obliger les administrateurs de ladite entreprise de prendre des mesures d’assainissement. Le but recherché est d’éviter que la situation ne s’empire et que la faillite potentielle qui en découle se révèle dévastatrice en termes de pertes pour les créanciers. Le présent article vise d’une part à présenter et illustrer les différentes catégories de bilans déficitaires qui peuvent se produire au sens de la loi et d’autre part les adaptations exceptionnelles qui ont été décidées pour faire face aux conséquences financières de l’actuelle crise sanitaire Covid-19.

 

Les catégories de bilans déficitaires

A la lecture du Code des Obligations (CO), il convient de distinguer 3 situations de pertes bien différentes.

 

Le bilan déficitaire simple

Une société doit faire l’objet d’un assainissement lorsqu’elle présente un important bilan déficitaire. Un bilan est déficitaire lorsqu’il contient une perte reportée, alors que toutes les réserves disponibles de l’entreprise sont dissoutes.

En cas de bilan déficitaire inférieur à la moitié du capital-actions, la législation ne prévoit pas de dispositions particulières. La direction de l’entreprise aura toutefois soin de prendre les mesures économiques nécessaires afin de résorber cette perte dans les meilleurs délais.

Dans cet exemple, la perte reportée de 50 étant inférieure à la moitié du capital-actions, soit 100 (200 x 50 % = 100), ce bilan n’implique aucune conséquence légale pour la société.

 

Le bilan déficitaire avec une perte reportée supérieure à la moitié du capital propre

S’il ressort du dernier bilan annuel que la perte reportée est supérieure à la moitié du capital-actions, le Conseil d’administration est tenu de convoquer immédiatement une assemblée générale et de lui proposer des mesures d’assainissement pour éponger la perte (CO art. 725 al. 1).

Dans cet exemple, la perte reportée de 120 étant supérieure à la moitié du capital-actions, soit 100 (200 x 50 % = 100), ce bilan implique les conséquences légales prévues par l’article 725 al. 1 du CO. Assainir une entreprise signifie restructurer une unité de production déficitaire dans le but de la rendre concurrentielle. Dans la pratique, les mesures d’assainissement se présentent sous diverses formes.

Sur le plan opérationnel, l’élaboration d’une nouvelle politique d’entreprise a pour objectif de fournir aux investisseurs des garanties de succès. Au moyen de plans de restructuration et de rationalisation, l’entreprise en difficulté se concentre sur les domaines prometteurs et abandonne les produits ou les marchés n’offrant pas de bonnes perspectives.

Sur le plan financier, l’endettement est apuré et l’entreprise est renflouée avec de nouveaux capitaux. Au niveau purement comptable, l’assainissement a pour objectif de supprimer la perte reportée au bilan. En fonction de la situation, les mesures d’assainissement suivantes sont adéquates:

  • réévaluation des biens immobiliers et des participations;
  • contributions à fonds perdu des actionnaires;
  • abandon de créances par les créanciers;
  • augmentation du capital-actions;
  • conversion de fonds étrangers en capital-actions par compensation.

 

Le surendettement

Une société est en situation de surendettement lorsque la perte reportée est supérieure au capital propre; en d’autres termes, lorsque les actifs du bilan ne couvrent plus les capitaux étrangers. Dans une telle situation, le Conseil d’administration est tenu de dresser un bilan à la valeur d’exploitation et un bilan à la valeur de liquidation. Si les dettes sociales ne sont plus couvertes par les actifs dans les deux bilans, les administrateurs doivent en aviser le juge afin que ce dernier se charge de la mise en faillite de la société (CO art. 725 al. 2). Si le Conseil d’administration ne procède pas à la notification dans un délai raisonnable, l’organe de révision est tenu d’en aviser le juge.

Dans cet exemple, la perte reportée de 250 étant supérieure au capital-actions de 200, ce bilan implique les conséquences légales prévues par l’article 725 al. 2 du CO.

 

La réévaluation des immeubles et des participations

A noter que dans la situation de l’art. 725 al. 1 CO, les immeubles et les participations dont la valeur réelle dépasse le prix d’acquisition peuvent, avec l’attestation d’un réviseur agréé, être réévalués au plus jusqu’à concurrence de cette valeur afin d’équilibrer le bilan déficitaire. Le montant de la réévaluation figurera dans une réserve dans les fonds propres du bilan. Cette opération permet d’augmenter les fonds propres de la société et de retarder provisoirement la nécessité des démarches prévues par la loi.

 

La postposition de créance

La postposition de créance est une déclaration écrite par laquelle certains créanciers (souvent les actionnaires dans la pratique) acceptent de déclasser leur créance à un rang inférieur. En cas de faillite de la société, le remboursement de leur créance n’intervient qu’après que la société ait honoré toutes ses autres obligations. La postposition permet de transformer juridiquement la dette (fonds étrangers) en fonds propres. Bien que la postposition ne remédie pas au surendettement, elle libère le Conseil d’administration de l’obligation d’aviser le juge.

 

Dispositions particulières Covid-19

L’ordonnance « Covid-19 insolvabilité » adoptée par le Conseil fédéral est entrée en vigueur le 20 avril 2020 pour une durée limitée à 6 mois. Elle prévoit des mesures provisoires visant à prévenir les faillites des PME suite à la crise sanitaire.

En vertu de cette ordonnance, les sociétés sont exceptionnellement libérées de l’obligation d’aviser le juge si elles étaient financièrement saines à la fin de l’année 2019 et s’il existe une perspective que le surendettement consécutif à la crise du coronavirus puisse être surmonté d’ici le 31 décembre 2020. Si ces deux conditions ne sont pas remplies, le dépôt de bilan reste inévitable. Cela signifie que les entreprises qui étaient en situation de surendettement au 31 décembre 2019 ne peuvent pas renoncer à l’obligation d’aviser le juge, tout comme celles qui ne pouvaient y renoncer qu’en raison d’une postposition. En effet, les postpositions ne représentent pas une mesure d’assainissement.

Finalement, conformément aux dispositions finales de l’ordonnance sur les cautionnements solidaires à la suite du coronavirus, les crédits Covid- 19 ne sont pas pris en compte en tant que capitaux étrangers jusqu’au 31 mars 2022 pour le calcul de la couverture du capital et des réserves au sens de l’art. 725 al. 1 et 2 CO. Cette réglementation est applicable seulement pour les crédits Covid-19 jusqu’au maximum de 500'000 francs.

 

Conclusion

Lorsqu’une société accumule les pertes suite à des exercices déficitaires, le Conseil d’administration est responsable de prendre les mesures qui s’imposent. Le seuil d’alerte à partir duquel il y a lieu d’agir sans tarder est fixé aujourd’hui par le Code des Obligations à 50 % de perte par rapport au capital propre. A partir de ce niveau, les administrateurs doivent proposer des mesures d’assainissement immédiatement et suivre la situation de près. Si ces mesures ne suffisent pas et que l’entreprise dépasse les 100 % de perte par rapport au capital propre, le juge doit impérativement être avisé. A noter que l’ordonnance provisoire Covid-19 ne permet pas à une société déjà en grande difficulté financière au 31 décembre 2019 de retarder l’annonce au juge. Pour terminer, notons que si le Conseil d’administration, subsidiairement l’organe de révision ne procède pas aux annonces prévues par l’article 725 CO expliquées ci-dessus, il s’expose potentiellement à des attaques pénales des créanciers et pourrait être accusé de négligence dans le futur en cas de faillite.

 


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